En ce dernier trimestre 2017, une grande question anime l'activité des entreprises : sécuriser son budget pour l'année à venir. Mais est-ce finalement une question pertinente ? En effet, de plus en plus d'entreprises ont décidé de s'affranchir de la contrainte de la validation de budgets en fonction des années civiles.
En empruntant ce chemin, elles ont gagné en "agilité" et en "réactivité". Par ailleurs, cette fin d'année 2016 est aussi riche en propositions politiques liées à l'élection présidentielle à venir, on peut saisir cette occasion pour faire un parallèle entre la quête de budget 2017 que mènent actuellement certains dans les entreprises privées et la réforme budgétaire de l'état dans le cadre de la LOLF de 2001. Cette réforme de 2004 a permis une modernisation du vote et du suivi de la dépense publique, une dizaine d'années plus tard personne ne conteste cette réforme.
Aujourd'hui, des entreprises ont choisi un mode d'attribution et de suivi budgétaire qui a des traits communs avec la LOLF, on parle alors d'une gestion "Beyond Budgeting". Finalement, qui est allé le plus loin en termes d'innovation financière, l'Ãtat ou les entreprises ? Si la LOLF est aujourd'hui familière à tout le monde, ce n'est pas le cas du "Beyond Budgeting". Et si certains ricanent en repensant à l'époque où l'armée "faisait" tourner des camions à vide pour renouveler son budget l'année suivante, ils ne soupçonnent peut-être pas que certaines entreprises ne sont pas si éloignées de ces pratiques corrélatives à la gestion annualisée du budget. à défaut de LOLF, des entreprises ont décidé de rechercher plus de performance budgétaire en passant au "Beyond Budgeting".
Le "Beyond Budgeting", la fin du budget ou simplement une gestion budgétaire plus agile ?
L'idée du "Beyond Budgeting" trouve son origine dans un article de la Harvard Business Review paru en 2003. Sur la base de cet article et des travaux effectués par le Beyond Budgeting Institute, 12 piliers ont été identifiés pour mettre en Åuvre cette nouvelle approche budgétaire.
En appliquant ces principes, on prend de la distance avec les impératifs du suivi comptable annualisé du budget et des engagements qu'il implique. Cela peut être une approche complémentaire ou alternative aux tableaux de bord prospectifs. On substitue un stress positif (faire mieux que ses concurrents et satisfaire ses clients) à un stress négatif (atteindre ses objectifs annuels).
Ce n'est donc pas la fin du budget dont il s'agit, mais d'une approche plus souple basée sur l'agilité et la réactivité. Il s'agit donc d'un nouvel état d'esprit qui doit animer les entreprises qui choisissent cette démarche, et même d'une nouvelle approche managériale et organisationnelle.
Vers une entreprise plus adaptative
Dans un monde où les startups se multiplient, où les technologies disruptives sont adoptées en quelques mois, et où l'on parle d'"uberisation" de certains marchés, la question de la capacité d'adaptation d'une entreprise est centrale. De fait, on demande aux entreprises de développer les vertus de l'agilité. L'innovation, l'adaptation et le changement ne doivent pas lui faire peur. L'approche "Beyond Budgeting" va dans ce sens, car elle donne un nouveau dynamisme à la gestion budgétaire.
Tous les secteurs d'activités peuvent être concernés. La première success-story de cette nouvelle approche du suivi budgétaire a été une banque suédoise : Handelsbanken et pour elle, "l'abandon du budget" a commencé dans les années 70 ! Le résultat a été une rentabilité très au-dessus de ses concurrents entre 1979 et 2001. Handelsbanken a su innover pour devenir très performante dans un domaine on ne peut plus cadré et standardisé, celui du suivi budgétaire d'une banque. Elle a ainsi posé la première pierre du "Beyond Budgeting". Indépendamment de la question budgétaire, plus d'autonomie a été donnée aux acteurs locaux tout en mettant en place une gestion des performances individuelles en fonction de ce que font les personnes ayant des objectifs similaires et de ce qui est réalisé collectivement.
Depuis, de nombreuses entreprises d'envergure appliquent une démarche qui procède du "Beyond Budgeting" dans tout ou partie de leur activité : Danone, Lego, Volvo, Hilti, Michelin, Holt, Engie, etc. Bref, la vague du "Beyond Budgeting" ne connaît pas encore de reflux.
Vers une entreprise qui cherche moins à appliquer des directives rigides et à contrôler qu'à être réactive et à responsabiliser
Dès lors que l'on rentre dans la démarche de se libérer du suivi du budget annualisé, on est plus dans la performance et la valeur que le contrôle et le management directif. La valorisation des ressources humaines devient un facteur clé de succès, car on doit partager avec elles des objectifs ambitieux et concrets et non plus des "contrats" d'objectifs annualisés. Cela implique une organisation qui est résolument plus tournée vers la réussite de projets que sur la rigidité d'organisations fonctionnelles en silo. L'excellence opérationnelle et l'émulation deviennent des maîtres mots, car l'évaluation de la performance sera relative et s'appuiera sur le jugement de ses pairs. De fait, l'innovation devient une clé du succès pour s'adapter plutôt qu'un stress qui ferait perdre ses habitudes.
Comment y parvenir ?
Le passage au "Beyond Budgeting" passe par un changement d'état d'esprit qui suscite parfois une communication assez radicale, on n'hésite pas à utiliser des slogans comme "il faut tuer le budget !" ou "avez-vous vraiment besoin de suivre un budget ?"
C'est assez provocateur et excessif. Il ne s'agit pas de s'affranchir totalement du suivi annualisé du budget, on en aura toujours besoin pour des raisons comptables et fiscales. Il s'agit de changer d'état d'esprit pour obtenir de meilleurs résultats. Cela passe par un changement du mode de suivi budgétaire et de l'allocation des budgets et au départ par un challenge en termes de conduite du changement.
Le succès passera par le fait de penser "comme un révolutionnaire" tout étant suffisamment concret et réaliste pour convaincre les décideurs. C'est une véritable approche holistique du changement avec à la fois des gains à court terme qui doivent être constamment consolidés et une communication vers les décideurs et les acteurs du quotidien tout en ayant une phase de formation particulièrement importante, car c'est sur elle que reposera l'adhésion à une nouvelle vision du suivi de l'activité et de fait à un nouveau filtre d'analyse de la performance des entreprises et de la carrière des individus.
